I lost my heart when I lost you.
“ Histoire ! ”
- 25 ans plus tôt, à Bath, Angleterre.
J’étais surexcitée, sautillant dans les couloirs. Dans une main, une peluche tirée de mon immense collection que j’avais affublée d’un superbe nœud rouge, mon autre main engouffrée dans la paume de Papa, m’amusant à le serrer fort, riant de ses fausses grimaces de douleur alors que nous avancions pour me faire rencontrer Elya. Ma petite sœur.
Nous arrivions dans la chambre et je sautais au cou de Maman. Je rigolais même de la voir les cheveux ébouriffés, le teint pâle et fatigué, sans aucune trace de maquillage, elle qui d’ordinaire prône la beauté et l’apparence. Elle me pince le nez avec un sourire pour mes moqueries avant de m’enlacer fort.
« Prête à rencontrer ta petite sœur ? »J’opinais vivement avant qu’elle ne m’entraîne vers un berceau sur lequel Papa était penché avec un sourire fier. Puis il me prit dans ses bras pour que je puisse voir. Découvrant une toute petite demoiselle endormie qui s’agitait de temps à autre. Je souriais, lui caressant la joue d’un doigt sachant que mes parents m’avaient répété, encore et encore, de faire attention et de ne pas être brutale.
« Elle dort la bouche ouverte ! »Je tombais de suite sous le charme d’Elya. Ma jeune sœur. Depuis ce jour elle a toujours représenté beaucoup à mes yeux. N’ayant jamais été réellement jalouse je préférais m’en faire une amie que de lui mener la vie dure. A chaque fois j’espérais qu’elle me dise un mot, qu’elle me regarde ou attrape ma main, et quand elle m’adressa un premier sourire je sus que je la protégerais à jamais, que rien n’y personne ne nous séparerait. Je n’étais qu’une enfant, la niaiserie de l’âge ne pouvait me prévenir de l’horreur qui allait nous arracher l’une à l’autre.
- 17 ans plus tôt, dans les forêts boréales du Québec, Canada.
L'arbalète pesait lourd sur mon épaule, mon œil fixant la cible à travers le viseur, un doigt sur la gâchette, le carreau n'attendant que mon signal pour se libérer de la tension de l'arme pour siffler l'air. J'inspirais profondément avant de retenir mon souffle et d'enfin faire pression sur la gâchette. La seconde d'après le carreau avait quitté mon arbalète... Pour venir se ficher à quelques millimètres au-dessus de ma cible.
« J'ai encore raté ! »Je baissais les bras en soupirant, mes bras encore tirés par les heures d'effort et d'entraînement. Puis le rire de Papa résonna et il vint m'ébouriffer les cheveux.
« C'est déjà pas mal pour une première Liyah. Puis tu n'as pas choisi l'arme la plus simple au monde, alors, ne perds pas courage de suite. »Un sourire et un clin d'œil suffirent à me redonner le courage. Voilà près de trois ans que nous avions quitté Bath pour le Canada, Papa, agent du FBI, avait été muté et nous l'avions suivi avec plaisir, du moins Elya et moi, Maman étant bien moins enchantée de vivre au Canada...
On arrivait chez nous, ma sœur courant vers nous pour atterrir dans les bras de Papa. C'était notre rituel. À chaque fois que Papa rentrait d'une mission, il m'emmenait avec lui à la chasse. De nombreuses personnes trouvent cette pratique barbare et sans cœur, mais je n'avais jamais vu cela de cette manière avec Papa. Il m'apprenait à traquer, à repérer les traces invisibles qui permettent d'atteindre le but et me faisait explorer la forêt. Je m'y sentais si bien, tout y semblait si pur. Jamais il ne tua devant moi, pas aussi jeune, mais il me montra comment faire sans jamais aller jusqu'au bout. Me répétant à chaque fois que j'étais bien trop jeune pour le faire et surtout que ma mère le tuerait pour ça.
On rentrait dans notre maison et Maman tapait du pied, mécontente.
« Bravo, elle va être en retard pour la gym maintenant. Tu sais que je n'aime pas quand tu l'emmènes chasser ! »Papa fit une moue, les yeux suppliants, Elya et moi, nous joignîmes à lui et voilà que le sourire étira de nouveau les lèvres de Maman avant de m'emmener avec elle. La gymnastique... Elle m'y avait inscrite très jeune, ancienne gymnaste elle aussi. Suite à la naissance d'Elya, elle avait trouvé que cela me féminiserait peut-être et surtout calmerait mon hyperactivité. J'aimais beaucoup, le fait d'être souple, d'enchaîner les mouvements, d'être félicité par Maman et d'ébahir Elya. Elle, elle avait choisi la danse classique et excellait.
La semaine suivante, Papa repartira en mission et nous quittera pour deux longues semaines. C'est pourquoi, une fois la gym finit, nous sommes allés nous acheter des pizzas et un énorme pot de glace, nous avons passé la nuit devant des films à nous cocooner, à rire et à parler. Une famille des plus banales, vivant notre petit bonheur de notre côté, construisant notre chemin ensemble, unis.
- 12 ans plus tôt, à Atlanta, Géorgie.
Elya sanglotait contre moi, se serrant fort contre moi. Maman pleurait aussi, cachée derrière son voile de dentelle noire, me tenant la main, détruite, les yeux rivés sur le cercueil. Cercueil dans lequel se trouvait désormais Papa. Mes larmes coulaient aussi le long de mes joues, alors que je serais les dents en entendant les remarques des gens lorsqu’ils passaient près de nous.
« Il n’était jamais là. » « Regardez ce qu’il laisse derrière lui. » « Il était violent, ça m’étonne que sa mission ait mal tourné pour lui ! » « Elles vont s’en remettre ! Ces derniers temps, il partait souvent. »Je me contentais de fixer le vide, faisant de mon mieux pour ne pas écouter ces chuchotements qui me donnaient uniquement envie de vomir. Remerciant les sincères, maudissant les curieux, les hypocrites, les faux.
Puis, Nicholas vint nous présenter ses condoléances. Lui, il était sincère. Lui, il connaissait Papa pour avoir travaillé avec lui. Lui, savait réellement qu’il était un homme bon, un homme bien qui s’occupait de sa famille. Lui aussi il le considérait comme un père. Son visage nous le transmettait parfaitement, en deuil lui aussi, il semblait tout aussi détruit et perdu que nous, me brisant d'autant plus le coeur. J’enfouissais mon visage dans son épaule, le serrer contre moi, à la fois pour le consoler lui, mais aussi moi, me laissant enfin aller à pleurer vraiment.
Cela faisait quelques années que nous avions rencontré Nicholas. Depuis que nous avions déménagé en Géorgie, Papa ne cessait de dire du bien de son petit protégé dont il était le chef, qui par la suite était devenu son apprenti favoris et enfin partenaire sur le terrain. J’avais même été jalouse de cet inconnu qui parvenait à obtenir tant de fierté de Papa. Du moins, jusqu’à ce que je le rencontre et me rende compte de la vraisemblance des dires de Papa. Nicholas me parut de suite comme quelqu'un de bien, il respectait mon père, même plus, tellement plus, retrouvant ma manière de voir Papa dans le regard du garçon.
Je ne pouvais penser enterrer Papa sans Nicholas. Malheureusement, le lendemain, il devra repartir en mission et alors je n’aurais plus ce soutien qu’il m’accorde à chaque fois. Mais ce qui me brisait d'autant plus est bien le fait de ne plus être là pour lui... Il ne montre presque jamais ses sentiments, mais j'étais fière de pouvoir affirmer que tel n'est pas le cas avec moi. Et avec la mort de Papa, nous allions avoir besoin l'un de l'autre. Je me dois d’être là pour Elya et Maman, mais je ne veux me montrer dans tel état devant elles. Devant Nicholas, je peux me laisser aller.
« Tu reviendras nous voir rapidement, d’accord ? »Lui fis-je me promettre le soir, alors qu’il partait pour nous laisser nous recueillir en famille et afin de préparer son départ. Il m’embrassa sur le front et me le promit dans un sourire. Et il tenu promesse, revenant prendre de nos nouvelles après chacune de ses missions, m’écoutant, me consolant, sans jamais vraiment parler de lui. Reconnaissant en ce trait, ce caractère si secret qu’avait Papa.
- 5 ans plus tôt, Baltimore, Virginie.
Nous étions à l'hôtel quand la nouvelle de l'épidémie s'est propagée. Nous allions tout juste partir de Baltimore, nous y étant rendues, Maman, Elya et moi-même pour un concours de danse auquel participait El. Les routes furent rapidement bloquées, impossible de reprendre la route, la folie des gens se propageait. Les rôdeurs se multipliant de plus en plus. Nous étions barricadées. Priant pour que quelqu'un nous sorte de là.
Nous sommes restées plusieurs jours ainsi, à écouter les rares transmissions à la radio. Frissonnant au moindre bruit près de nous, sursautant au moindre cri à l'extérieur. Mais nous n'avions plus de vivres et la lassitude de tant de passivité eut raison de notre cloisonnement. Nous embarquâmes le strict nécessaire dans nos sacs à dos, et descendîmes prudemment dans les rues. Déjà une semaine d'écoulée et la cité semblait fantôme.
« Ne traînez pas les filles, suivez-moi... »Je découvrais Maman complètement différente. Elle nous guida dans les rues de Baltimore, suivant au mieux la carte de l'hôtel. Nous vîmes une personne se faire dévorer par l'un de ces monstres, mais Maman nous tirait déjà par la manche pour qu'on avance sans émettre le moindre son.
« On y est... »Je regardais alors où nous nous étions arrêtées. Une armurerie... Je compris alors où elle voulait en venir et j'entrais par la vitrine brisée. Engouffrant dans mon sac ce qui pouvait nous être utile. Il ne restait plus grand-chose, la plupart des armes à feu étaient parties... Maman se dénicha malgré tout une lame et un petit revolver, Elya paniquée n'osa toucher aux armes et Maman la calmait alors que je m'emparais d'une arbalète et d'autant de carreaux possibles, les fourrant dans un sac avant de monter sur le comptoir pour attraper la carabine exposée au mur. Je vérifiais son état, son viseur, presque le même modèle qu'avait Papa autrefois, peut-être un peu plus lourde...
Nous quittâmes ensuite la ville. Comme le message à la radio le conseillait.
Pendant presque un mois, on errait sur les routes, économisant au mieux nos réserves, découvrant par nous-même comment venir à bout de ces êtres putrides en pleine décomposition. Nous étions épuisées et avions décidés de passer la nuit dans une maison. Mais le lendemain, à notre porte, une horde mineure attendait sagement que l'on s'éveille et daigne ouvrir notre porte. Rapidement, ils ont pris le dessus et nous aurions dû toutes y passer.
Nous enfermant dans la pièce contenant nos affaires, maintenant au mieux la pression des rôdeurs sur la porte, Maman m'agrippa et me força à l'écouter :
« Attrape les affaires et ta sœur et commencez à avancer. Je vais les retenir. »J'allais pour contester, mais elle ne m'en laissa pas le choix, me repoussant et me criant de l'écouter. Je le fis sachant parfaitement ce qu'elle comptait faire. Nous sortîmes par une fenêtre, Elya se retourna lorsqu'on fut à l'abri du bois, j'en fis de même. Maman nous souriait, pleurait, recula de la porte et commença à vider ses dernières balles sur les zombies. Mais ce n'était pas suffisant. Ma sœur allait pour hurler, mais je l'en empêchais, plaquant ma paume contre ses lèvres, cachant ses yeux alors qu'ils dévoraient Maman.
J'inspirais et comptais jusqu'à cinq, comme me l'avait appris Papa pour gérer mon stress, ma peur. Puis déterminée, j'attrapais Elya et la forçais à me suivre. Maintenant, ce n'était plus que nous deux contre le reste du monde.
- 4 ans plus tôt, Charlottesville, Virginie.
« Elya ! Elya, je t'en prie regarde-moi ! »Je hurlais son nom, la secouant alors que son sang s'écoulait, appuyant de toutes mes forces sur la plaie béante à sa poitrine. Elle me regardait, affolée, pleurant, tremblant encore, attrapant mon haut tachait de leur sang et du mien, me suppliant du regard de l'aider.
« Li-yah... »Ils nous avaient prises par surprises. Un groupe de six hommes était passait dans la ville et avait trouvé notre campement provisoire. Nous y surprenant, bien heureux de trouver deux jeunes femmes seules. Supérieurs en nombre, ils n'eurent que peu de difficultés à nous immobiliser.
« Ne la touchez pas, faites ce que vous voulez de moi, mais ne la touchez pas ! »Mais ils ne m'écoutaient pas, je voyais Elya pleurer, je me débattais d'autant plus pour tenter de l'attraper. En vain. Ils furent donc plus nombreux pour me mobiliser, je m'en moquais, à cet instant, j'avais simplement peur pour Elya, faisant de mon mieux pour faire abstraction de la douleur, de la rudesse, de la violence et de la froideur de ces bêtes. Chaque cri produit par Elya me glaçant d'autant plus, résonnant dans mes oreilles, hurlant quand je ne la voyais plus.
Une éternité sembla s'écouler avant qu'ils ne finissent leur affaire. Ma seule préoccupation n'était pas de me cacher, ni même de me recroqueviller sur moi-même pour me consoler, mais plutôt de m'enquérir de ma sœur. Elle pleurait encore, sous le choc, terrifiée par ces hommes, horrifiée par ce qu'ils venaient de lui faire. J'allais pour la rejoindre, mais un des hommes m'en empêcha.
« Tu sembles vraiment tenir à elle... Remercie-moi, elle sera en paix désormais. »Un coup retentit. Le corps d'Elya eut un sursaut, son souffle fut coupé et le sang gicla. Il se passa bien quelques secondes au ralenti, fixant Elya sans comprendre. Pourquoi avait-il fait ça ? N'avait-il pas déjà eu ce qu'il voulait ? Pourquoi la détruire encore plus ? Pourquoi me laisser moi en vie après tout ça ? Je hurlais, me débattant, alors qu'il me lâchait pour me balancer dans les bras de deux autres.
« Attachez-la et embarquez-la. »Quatre d'entre eux partirent, un vrombissement de voiture assourdissant se faisant entendre avant de s'évaporer. Je continuais de me débattre alors qu'Elya succombait. Un élan d'adrénaline me fit envoyer un coup de boule à l'un de mes assaillants. Assénant un kick à l'autre, je me précipitais sur mes affaires, sautant sur mon arbalète, un carreau se plantant dans le crâne de l'un. L'autre se jetant sur moi sans que je n'aie le temps de recharger. Je l'assommais de nouveau avant d'attraper la sangle de mon fusil et de l'étrangler. Ne pas tirer de balle. Ne pas les faire revenir. Puis, une fois les deux morts, je me précipitais sur ma sœur, apeurée, ne sachant quoi faire.
« Li... Li-yah... »« Non, non, non, non, non, El' ! Tu ne peux pas me laisser comme ça. Regarde-moi ça va aller. »Mes larmes coulaient sans que je ne m'en rende compte, tentant d'éponger le sang en vain. Elya compris alors que ce n'était plus la peine. C'était fini. Elle attrapa ma main, caressa ma joue, puisant dans ses ultimes forces pour cela.
« ça va... al-ler Li-yah... R-Reste forte, p-pour nous. D'ac-cord ? Bas-toi, g-grande sœur. »Elle me scrutait de son regard qui déjà commençait à se voiler. J'opinais, pleurant, secouée par des sanglots, maintenant sa main contre ma joue, en secouant vivement la tête.
« P-promet-le moi. »« Je-je te le promets El'. »Dis-je avec difficulté alors qu'elle affichait un sourire serein et poussait son dernier soupir. Je sentis la force quitter la pression de sa main contre ma joue, mais je continuais de la maintenir. L'agrippant, la serrant fort contre moi, pleurant comme je ne l'avais jamais fait. Perdant l'ultime membre de ma famille. Celle qui comptait le plus à mes yeux...
Les heures passaient. Mes larmes coulaient toujours, humidifiant celles qui avaient asséché ma peau. Je n'y prêtais attention, ne sanglotant plus, assise aux côtés d'Elya, mon couteau de chasse en main. Attendant. Puis ses paupières vacillèrent, elle commença à bouger, lentement, très lentement, puis cet horrible râle s'échappa de sa gorge, se frayant un chemin jusqu'à la commissure de ses lèvres. Elle ouvrit les yeux, tendant les paumes vers moi. Je lui caressais la joue avant de lui planter mon couteau dans le crâne.
« Je suis désolée El'. Ils paieront pour tout ça. »Lui promis-je tout bas, alors que la vie terminait de la quitter. Je brûlais son corps plus tard, séchant mes larmes. Déterminée à tenir ma promesse, je me préparais de suite pour reprendre ma route, récupérant mon carreau, quelques munitions sur les corps avant de me lancer dans la traque des ordures qui m'avait enlevé ma dernière nuance de vie dans ce monde détruit.
- Aujourd'hui, quelque part en Virginie.
Voilà quatre ans que j'erre. Quatre années que j'ai tout perdu. Ma famille, mon espoir, moi-même... Tenant ma promesse. Retrouvant ces ordures et les faisant payer. Me maudissant à chaque fois que je perdais leur trace. Me glaçant à chaque fois que ma route croisait celle d'un groupe. Les rejoignant parfois, après les avoir observés, les évitant si je n'étais pas convaincue ou que le besoin ne se présentait pas. Cachant mon histoire derrière une fausse attitude positive pour prévenir toutes questions possibles.
Voilà bien qu'un mois s'est écoulé depuis que j'ai quitté un énième groupe pour poursuivre seule ma route. Je poursuis ma route, continuant d'avancer et de détruire ces êtres immondes croisant ma route, m'en éloignant quand leur nombre me dépassait. Je n'oublie pas ma promesse. Je ne pourrais jamais l'oublier. Mais, que deviendrais-je lorsque je l'aurais tenue ? Lorsque vengeance sera assouvie? Peut-être est-ce la réponse à cette question qui m'effraie le plus...